L’agression sexuelle commise par des adolescents demeure un courant de recherche relativement nouveau, caractérisé par l’absence d’un cadre théorique consensuel. L’approche d’Otto F. Kernberg sur la personnalité et ses troubles constitue un cadre conceptuel permettant de réfléchir aux relations entre la pathologie de la personnalité et la pathologie des conduites sexuelles. La présente recherche vise à étudier, dans une perspective exploratoire, les liens entre des dimensions de l’organisation de la personnalité et diverses caractéristiques du délit auprès d’adolescents ayant posé un geste abusif à caractère sexuel. Nous posons l’hypothèse d’une correspondance entre la maturité du développement psychique et la gravité des conduites sexuelles délictueuses, les conduites sexuelles les plus graves étant associées à un fonctionnement intrapsychique plus pathologique.

Les données recueillies auprès de quarante adolescents âgés entre 15 et 17ans ayant commis une agression sexuelle ont été considérées. L’étude a été réalisée à partir de dossiers d’archives comprenant un protocole d’évaluation qui permet de dresser un portrait complet du fonctionnement psychologique, familial et psychosexuel de l’adolescent, ainsi que de rapports judiciaires permettant de cerner les principales caractéristiques du délit. Les variables psychologiques considérées ont été évaluées à l’aide du Personality Organization Diagnostic Form, ainsi que de sous-échelles de la Social Cognition and Object Relations Scale et du Millon Adolescent Clinical Inventory.

Des corrélations significatives ont été relevées entre, d’une part, le degré de diffusion de l’identité, l’utilisation de mécanismes de défense primitifs et la nature des relations objectales avec, d’autre part, certaines caractéristiques du délit (âge des victimes, type d’agression, utilisation de violence). Des analyses de régression multiple ont révélé que l’utilisation de défenses primitives parvient à expliquer une variance significative du type d’agression commise et du degré de violence utilisé au cours de l’agression.

Les résultats obtenus sont cohérents avec la perspective psychodynamique sur l’agression sexuelle. Les corrélations obtenues appuient les hypothèses de Kernberg quant à la correspondance entre les pathologies des conduites sexuelles et de la personnalité : une pathologie sexuelle plus grave en termes du degré d’intrusion du geste abusif et de la violence utilisée est observée chez les individus présentant une organisation de la personnalité plus archaïque caractérisée par une identité plus diffuse, l’utilisation de défenses primitives, des relations interpersonnelles plus pauvres, ainsi que des difficultés à intégrer les pulsions agressives et libidinales. Des analyses de régression ont par ailleurs révélé que l’utilisation de défenses primitives (comme le déni, le clivage, l’omnipotence et le contrôle omnipotent) constituait le meilleur prédicteur afin d’expliquer le type d’agression commise et le degré de violence utilisé. Les résultats suggèrent que ces défenses pourraient constituer les mécanismes par lesquels procèdent la désactivation de l’empathie et la déshumanisation d’autrui dans les relations centrées sur la violence. Malgré quelques limites à la présente étude, particulièrement en ce qui a trait à la généralisation des résultats, elle suggère différentes pistes d’exploration dans un champ d’étude trop rarement abordé sous l’angle psychodynamique au cours des dernières années.

Nos observations, qui mettent en lumière les relations entre des dimensions intrapsychiques de la personnalité et des caractéristiques du délit auprès d’un échantillon d’adolescents auteurs d’agressions sexuelles, invitent à adopter une perspective différente de celle qui prédomine actuellement dans la littérature anglo-saxonne sur l’agression sexuelle et qui tend à focaliser sur les caractéristiques manifestes du geste abusif, de sa victime ou de son auteur.

Adolescent sexual offending is still an understudied research domain, with no consensual explicative model. Otto F. Kernberg's model of normal and disordered personality functioning constitutes a sound theoretical framework allowing study of the relationships between personality pathology and sexual pathology. The aim of the present research is to explore the relationships between personality organization dimensions and offence characteristics among adolescent sexual offenders. We hypothesize that the more severe offences (in terms of frequency, degree of intrusion, and use of violence) should be associated with a more pathological or immature intrapsychic personality functioning.

The study was based on retrospective analysis of archival data from 40 adolescents aged between 15 and 17years old who had committed a sexual aggression. Files from which information was retrieved included an assessment protocol, which fully explores psychological, interpersonal and psychosexual functioning of adolescents, as well as police reports depicting offences and their main characteristics. Personality variables of interest were assessed using the Personality Organization Diagnostic Form, and subscales from the Social Cognition and Object Relations Scale and the Millon Adolescent Clinical Inventory.

Significant correlations were found, on one hand, between identity diffusion, primitive defense mechanisms and type of object relations, and some offense characteristics (age of victims, type of offence, use of violence). Multiple regression analyses revealed that primitive defense mechanisms explain a significant proportion of variance for the type of offence and the use of violence during aggression.

Results are coherent with psychodynamic formulations on sexual aggression. Bivariate correlations support Kernberg's formulations regarding the correspondence between sexual and personality pathologies: a more severe sexual pathology in terms of intrusion and use of violence is observed in adolescents showing a more immature personality organization characterized by more identity diffusion, a more pervasive use of primitive defenses, poorer interpersonal functioning, and a failure to integrate aggressive and libidinal drives. Regression analyses showed that primitive defenses (such as denial, splitting, omnipotence and omnipotent control) were the strongest predictor of the type of offence and use of violence during aggressions; this result suggests that primitive defenses may represent a mechanism that entails deactivation of empathy and dehumanization of the other in violent interpersonal encounters. Despite some limitations to the current study, mostly regarding generalization of the results, it opens various research avenues on sexual aggression within a psychodynamic framework, an angle too seldom explored of late.

Our observations, which highlight the relationships between intrapsychic personality dimensions and offence characteristics among adolescent sexual offenders, suggest a framework radically different from mainstream Anglo-Saxon literature, which tends to focus on manifest characteristics of the offence, its victim or its perpetrator.